Retour sur la conférence et notes sur les infrastructures numériques des arts

Blogue

En avril 2023, à l’invitation de Mass Culture / Mobilisation culturelle.

J’ai été invité par Mass Culture / Mobilisation culturelle pour partager mes réflexions sur leur conférence. Je crois que c’est une organisation qui devrait être plus connue dans le monde francophone, je vous encourage à lire mon article pour la découvrir!

J’en profite aussi pour livrer certaines observations sur la transformation numérique du secteur des arts.

Les propos tenus dans ce blogue n’engagent que moi. Ils ne reflètent pas les positions de l’Alliance des arts médiatiques, Mobilisation culturelle ou mes autres affiliations.

J’attendais avec impatience la conférence SE POSITIONNER POUR LE FUTUR mise sur pied par Mobilisation culturelle. C’était une première occasion en 10 ans pour que les organismes de service aux arts (OSA) de toutes disciplines confondues se rencontrent, échangent et s’organisent. Après une décennie sans avoir formellement d’espace commun, il y avait bien sûr énormément de sujets à couvrir! D’ailleurs, avec sa programmation d’activités, Mobilisation culturelle a proposé un tour d’horizon d’enjeux importants pour le secteur. Nous retrouvions de nombreux thèmes comme l’évaluation autochtone, le lobbying politique, les changements sociaux ou la recherche en art pour ne citer que quelques-unes des discussions à l’horaire lors de ce rendez-vous de deux jours à Toronto.

La conférence avait une structure hybride, une série de conversations virtuelles étaient organisées en amont à la rencontre en personne. Des groupes ont été constitués autour de différents sujets, ou « voies de solution » comme elles étaient appelées par Mobilisation culturelle. J’ai rejoint l’équipe sur l’enjeu « Comment pouvons-nous aider les artistes à ne pas se perdre dans le monde numérique ? ». Contrairement à ce que la question pouvait laisser supposer, nous avons peu parlé de création artistique. Ce sont davantage les systèmes organisationnels qui ont retenu notre attention, en particulier le développement, le maintien et la collaboration au sein de l’infrastructure numérique du secteur. Avec ce billet de blogue, j’aimerais revenir sur des idées qui ont été discutées avec ce groupe, notamment le désir de voir un écosystème artistique plus connecté[1].

À la base de ce système, nous trouvons les données que le secteur artistique génère, gère et partage. Elles sont souvent comprises à tort comme étant exclusivement une composante de la mise en marché d’un évènement culturel. Nous les avons plutôt considérées selon une perspective de bien commun, un des fondements nécessaires pour créer un secteur en synchronisation, où nos informations sont découvrables et en relation entre-elles. Les données sont une ressource, leur accessibilité est donc une question de justice sociale. Une problématique récurrente concerne les machines, comme les algorithmes de recherche de Google. Comment utilisent-elles et interprètent-elles nos données ? Trop souvent, ces entreprises ont un comportement d’extraction. De grandes corporations ou de jeunes pousses (start-up) peuvent générer des revenus importants grâce aux données culturelles sans contribuer au milieu artistique. S’organiser au sein de notre secteur par rapport à la gouvernance de nos systèmes d’information pourrait nous permettre de rétablir la relation de pouvoir qui s’est installée. Par extension, les plateformes disponibles ou les nombreuses qui sont en développement ont aussi fait partie de nos réflexions. De nouveaux engins commencent à peine à être utilisés, mais nous sommes venues à la conclusion que nous devrions dès maintenant considérer leur interopérabilité.

Au cœur de nos discussions, il y avait l’enjeu de la littératie numérique dans le secteur. Dans notre monde en changement, les gestionnaires en art sont peu équipés pour comprendre ou trouver le temps pour étudier les bases nécessaires à l’entreprise de projets numériques. Cette situation fait en sorte qu’une bonne partie du financement octroyé pour la transformation numérique est allé à des firmes de consultant·e·s. L’expertise qui est développée en dehors du milieu reste peu dans le secteur. Certains travailleur·euse·s culturel·le·s ont eu la chance d’apprendre dans le cadre d’initiatives récentes (je crois être l’une de ces personnes), mais ces apprentissages sont rarement partagés équitablement avec leur équipe ou même assimilés par leur organisation. Nous voyons donc un effet pervers, plusieurs initiatives numériques sont portées par des individus isolés et sont peu comprises par leur direction. Sans réévaluer leur stratégie pour y intégrer une vision numérique, les organisations font ces projets de manière ad hoc et n’allouent pas les ressources nécessaires pour faire évoluer ces idées à long terme.

Cette situation n’est pas surprenante, même les structures de financement sont peu adaptées à ces enjeux! L’exemple le plus flagrant est peut-être que le coût de maintien de ces plateformes est souvent considéré comme une dépense inadmissible. Le Conseil des arts du Canada n’adopte pas lui-même une philosophie numérique. Son fonds de Stratégie numérique (FSN) a subventionné massivement la transformation numérique au sein du milieu artistique, mais a manqué l’occasion de favoriser le partage des savoirs et l’entraide entre organismes. Cette observation n’est pas controversée, elle est d’ailleurs l’un des enjeux principaux constatés par l’évaluation du programme (14)[2]. Dans ce même document, on propose que le Conseil devienne un « incubateur qui cultive la collaboration et les partenariats », notamment en initiant un « portail de connaissances centralisé et interrogeable » (19). Pour l’instant, nous n’avons accès qu’à un tableur qui répertorie les projets qui ont reçu le financement du FSN, une mesure bien maigre de partage de données publiques. Sans avoir ce système de mise en commun des savoirs, nous sommes forcés de nous organiser de manière indépendante.

La conférence de cette année a certainement été une étape importante en direction d’une fédération du milieu des arts. Nous avons besoin d’espaces pour établir des relations et reconnaître nos défis collectifs. Cela dit, le difficile travail de planification et de coordination des différentes sphères artistiques reste à faire. Mobilisation culturelle a plutôt opté pour une approche généraliste, voire utopiste, par rapport à l’avenir. L’activité centrale pour échanger sur ce futur était un jeu où nous étions invités à spéculer sur le secteur en 2030. Ces conversations étaient privées, en groupes d’un maximum de quatre, et interprétées en direct par l’artiste Betty Pomerleau sous la forme de dessins cryptiques. La conférence s’est conclue par un retour sur les discussions qui ont eu lieu lors de cette activité. Pour vous donner un exemple, l’équipe dont je faisais partie a créé un artefact provenant de 2030 dont les antennes permettaient d’accéder et de comprendre la vie des ancêtres des personnes qui nous entouraient[3].

J’ai participé à peu d’échanges formels où nous avions des conversations concrètes par rapport à notre avenir. Cela dit, je crois que cette possile faiblesse de la conférence était peut-être en fait sa force. Aborder de manière ludique ces questions difficiles a permis de reconnaître nos valeurs communes tout en ayant du plaisir. Si vous n’étiez pas à Toronto, soyez rassuré·e, l’invitation à se positionner pour le futur reste ouverte. Vous pouvez encore y contribuer!

Babillard de projets inspirants

Les rencontres et les découvertes que ces événements ont permises restent les résultats les plus concrets. C’est pourquoi en terminant ce billet, j’aimerais vous parler de certaines initiatives que je vous invite à suivre.

Avec cette liste, j’espère faire éclater la bulle linguistique où peut-être vous êtes coincé en vous présentant des projets à travers le Canada. Je vous suggère de trouver un moment pour vous renseigner à leur sujet, même si vous devez vous munir d’un bon algorithme de traduction. Pour chaque proposition, j’inclus des notes l’état des langues qui sont disponibles.

Apprendre

Un avenir numérique lié, CAPACOA

Qu’est-ce qu’une donnée liée? Comment les OSA peuvent aider leurs membres à structurer leurs données? C’est le genre de questions auxquelles répond l’ambitieuse et nécessaire initiative de CAPACOA. Ces technologies, comme Schema ou Wikidata, continuent d’être peu comprises et sous-utilisées dans le secteur. Pour les curieux et curieuses, leur page de ressources est un bon point de départ, ainsi que la boîte d’outils de sensibilisation et la liste détaillée des types de données [beaucoup de choses sont traduites, mais certaines ressources sont seulement en anglais].

GLAM #WikiWednesdays

Victoria Stasiuk une personne innovatrice qui prend en main le développement de ses connaissances et elle vous invite d’ailleurs à la rejoindre! Elle a mis sur pied des rencontres pour les galeries, bibliothèques, archives et musées (d’où l’acronyme GLAM en anglais) pour expérimenter avec les graphes de connaissances. Vous pouvez participer à ces sessions où vous en apprendrez davantage sur Wikidata et les données culturelles.

Artexte

Ce centre d’artiste a un mandat de documentation des connaissances et est très actif dans les domaines numériques. Je vous invite surtout à consulter leur boîte à outils.

Sources d’inspiration

Culturepédia

Cette initiative explore le modèle d’une fiducie d’utilité sociale (social utility trust) pour préserver des données générées par le milieu culturel. Ce modèle est habituellement utilisé pour protéger à long terme le patrimoine bâti ou des environnements comme des milieux humides. L’argument ici est que les données sont aussi un bien commun qui devrait être protégé et mis à la disposition des générations futures. Ils ont comme mandat d’assurer la pérennité des données de la francophonie, mais il y aurait une possibilité d’avoir une vision multilingue lors de prochaines itérations du projet [en français seulement].

Le réseau ADN.

Ce réseau a été mis sur pied par le gouvernement du Québec et je le considère comme une réussite importante de transformation numérique. J’espère qu’elle pourra inspirer d’autres gouvernements provinciaux! En plus d’offrir des subventions traditionnelles aux projets, ils ont également financé l’ajout d’un nouveau poste au sein de l’équipe des organismes culturels, les agents de développement numérique. Si vous souhaitez en connaître davantage sur leur modèle, vous pouvez consulter la page Le fonctionnement du Réseau ADN 2019-2022 de leur wiki [en français seulement].

Partage de connaissances et de ressources

Les arts, la culture et le numérique | Québec, Canada |

Je commence cette section avec un groupe Facebook, mais qui mérite réellement le détour. Je dirais que c’est un carrefour incontournable pour les annonces dans le secteur du numérique. Bien qu’imparfaite, cette plateforme constitue une manière rapide et simple de rester connecté avec l’actualité numérique, surtout au Québec.

Artifex

C’est le répertoire de ressources de MassCulture, vous pouvez le consulter sur le site du Critical Digital Methods Institute [principalement en anglais]. Vous pouvez trouver des centaines de documents sur de nombreux sujets et même en proposer puisque c’est un répertoire communautaire. Il y a surtout des sources académiques ou de la documentation de recherches. Personnellement, je trouve l’outil un peu difficile à naviguer. Il y a peu de contexte pour chacun des liens et le moteur de recherche à des fonctionnalités limitées.

Artse United, ArtPonds

Ce projet se veut un système de la gestion d’organismes, mais il n’est pas encore disponible. Il regroupe notamment un module financier (Hatch Open) et un module de cartographie des connaissances et de l’écosystème (DigitalASO). Leur réflexion autour du partage de ressources est très intéressante, ils cherchent justement à créer un environnement qui favorise la mise en contexte par leur intégration à travers d’histoires et de récit. Les éléments liés pourront aussi être spatialisés sur une carte. Le lancement est prévu pour la fin mars 2023, vous pouvez surveiller leur site Internet (https://artspond.com/) pour les détails à venir ou encore rejoindre leur serveur Discord [ces systèmes seront d’abord disponibles en anglais, une version française sera développée par la suite].

Creative Coast

Cet organisme vise à favoriser l’écosystème artistique de l’île Victoria, mais il n’est pas aussi insulaire qu’il y paraît! Ils supportent plusieurs initiatives reliées au numérique, vous pouvez en apprendre davantage sur leur page de projets récents.

interConnect

Je termine avec le projet sur lequel je travaille avec l’Alliance des arts médiatiques indépendants! Dans le cadre de cette initiative, nous organiserons des groupes d’apprentissages collaboratifs autour de champs de réflexions importants du numérique. Vous avez d’ailleurs jusqu’au 28 février pour donner votre avis sur les enjeux que nous devrions aborder en répondant à notre questionnaire. Vous pouvez également vous abonner en tout temps à notre infolettre.

À terme, nous contribuerons à Praxis, une nouvelle base de connaissance pour l’édition de savoirs pratiques. La plateforme sera ouverte au public plus tard au printemps 2023. Vous pourrez aussi publier des ressources sur cette plateforme et rejoindre plusieurs organisations et des individus de plusieurs milieux (en culture, mais aussi urbanisme, économie sociale et autres) .

Nous avons également mis sur pied un serveur Discord Media Arts Connect / Connexion arts médiatiques que vous pouvez rejoindre avec ce lien (https://discord.gg/U98jndMShC). Nous espérons créer un espace où nous entraider et discuter des sujets importants dans notre milieu.

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Remerciement

J’aimerais remercier Mobilisation culturelle pour leur invitation à écrire ce texte et les nombreux commentaires de Maude Jarry qui ont grandement contribué à rendre ce récit cohérent.

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À propos de moi

Je suis un artiste, enseignant et, bien sûr, travailleur culturel basé à Tiohtià:ke (Montréal) où j’ai complété un baccalauréat en étude de la communication de l’université Concordia. Je connais aussi assez bien la ville de Vancouver pour y avoir réalisé une maîtrise en arts visuels l’université de la Colombie-Britannique.

Je travaille depuis 2018 avec l’Alliance des arts médiatiques (AAMI). Pour savoir comment me contacter ou pour en apprendre davantage sur mes projets récents avec l’AAMI, visitez le site suivant ici.


[1] Ces idées ont été inspirées par les discussions au sein du groupe. J’aimerais notamment vous inviter à consulter le document créé par Michael Mooney et partager dans le serveur Discord Media Arts Connect. Vous pouvez rejoindre le serveur et consulter cette publication à l’adresse suivante :

https://discord.com/channels/1011272158699327508/1034558146900922549/1044744975163854908

[2] Citation tirée de Présentation des principaux constats – Examen du fonds Stratégie numérique et évaluation des besoins sectoriels que vous pouvez télécharger ici : https://conseildesarts.ca/recherche/repertoire-des-recherches/2022/07/examen-du-fonds-strategie-numerique-et-evaluation-des-besoins-sectoriels

[3] J’aimerais notamment mentionner la référence à TimeTraveller™ de Skawennati https://www.timetravellertm.com/